Danièle Edo-Paladini

Accompagnement des petits lors de la rentrée scolaire


J’ai le désir de partager avec vous, un travail d’accompagnement de la rentrée scolaire des petits en maternelle.

Je pratique cet accompagnement dans une école maternelle de Nouvelle-Calédonie.

Il s’adresse aux enfants qui vivent la séparation d’avec leurs parents comme un déchirement.

L’aventure a commencé il y a quelques années avec la rencontre d’un enfant, Benjamin.
Je travaillais, alors en tant que rééducatrice sur un secteur scolaire comportant des écoles maternelles et primaires.

La fonction des rééducateurs de l’Education Nationale a pour objectif d’aider les enfants en difficultés scolaire et relationnelle, au sein même des écoles.

Lorsque ma collègue Nadine et moi arrivions à l’école de Koutio, où nous intervenions hebdomadairement, nous retrouvions Benjamin en pleurs et ceci plusieurs semaines après la rentrée.
Nous le consolions, les enseignantes le consolaient, mais cela ne suffisait pas.

Touchées par cette détresse, nous décidâmes qu’à la rentrée prochaine nous mettrions en place un accompagnement spécifique dans les écoles maternelles.

Je vais vous parler de cet accompagnement tel que je le pratique depuis 2 années.

Il ne correspond plus à la fonction de rééducatrice que j’ai quittée, bien qu’il s’y ancre historiquement.
Il s’oriente maintenant plus vers un accompagnement ACP, destiné à des enfants particulièrement en détresse les premiers jours de la rentrée.

L’inspecteur de circonscription m’autorise à être présente dans une école la première semaine.
Mes anciennes collègues interviennent dans d’autres écoles et aident les enfants lors de ce « passage », ce que je fais n’est donc pas isolé.

La visée de cette action est d’aider l’enfant à surmonter l’épreuve de séparation.
Nous avons très vite compris qu’il ne suffisait pas de consoler mais justement d’accompagner l’enfant.
Celui-ci ne doit pas se calmer d’épuisement ou se résigner, il importe qu’il sorte victorieux de cette épreuve.
L’adulte accepte la crise dans son expression singulière et aide à l’élaboration des émotions de l’enfant, il l’accompagne dans son processus jusqu’au moment où l’enfant manifeste le plaisir d’être parmi les autres et d’agir à l’école. Ce plaisir d’agir constitue un prémisse au désir d’apprendre.

L’outil principal est la
symbolisation par l’adulte de ce qui est vécu par l’enfant. Cette symbolisation ne passe pas uniquement par la parole, elle est soutenue par des jeux ou sénari mis en place avec les objets présents dans l’environnement et qui parlent de la situation de l’enfant. Le dessin est aussi utilisé dans le même but.

Comme on le verra dans les exemples qui vont suivre je n’oublie jamais que je suis à l’école et je me considère comme un « passeur ». Passeur entre l’enfant et la culture. L’école est un lieu d’apprentissage et de socialisation, mon but est que l’enfant désire s’y inscrire.

Dans cet objectif, je commente ce que nous entendons et voyons, l’enfant et moi, dans ce lieu spécifique.
Je propose régulièrement que nous allions rejoindre la classe, les autres, la maîtresse.

Lorsque l’enfant est prêt c’est lui qui me guide vers la classe.

Je vais tenter de vous faire vivre cet accompagnement :

Première étape : présence empathique et symbolisation.

Imaginez, je suis à l’école et j’accompagne l’enfant là où il se trouve, cela peut-être dans la cour, dans un couloir, je m’assieds près de lui par terre car dans un premier temps il ne veut pas bouger, ne veut pas aller dans la classe ; sa mère ou ses parents sont partis et il est dans une détresse totale. Il n’est pas prêt à être consolé il a seulement besoin qu’une personne adulte soit là avec lui dans une vraie présence rassurante tout le temps qui lui sera nécessaire. L’enfant a besoin que son agressivité et sa colère soient acceptées pleinement. Alors je symbolise ce que je comprends de son ressenti avec la parole mais aussi avec le matériel disponible : dessiner avec des feutres, dessiner sur le sol dans la cour…) Les enfants m’ont encouragée dans cette pratique.

Je me souviens d’une petite fille qui pleurait silencieusement, près d’elle je dessinai la situation : la maison où est maman, la route, l’école où est la petite fille… Celle ci me demanda alors : « dessine les larmes de la petite fille », je compris qu’elle se reconnaissait dans ce dessin et qu’elle m’encourageait à traduire graphiquement son vécu émotionnel.

A un autre moment un petit garçon trépignant de colère criait « vilain papa qui m’a laissé tout seul » ; nous étions tous deux seuls dans la salle de motricité de l’école, une série de grosses perles en plastique et un carton me permirent de proposer la symbolisation suivante : je pris les grosses perles, les emboîtais et offris à l’enfant le collier de la colère, il le jeta à travers la pièce en hurlant. Le jeu qui s’instaura alors fut le suivant : Allan. déboîtait une à une les perles les jetait dans un carton, je les ramassais et reconstituais le collier de la colère que je lui offrais de nouveau. Il ponctuait ses jets de perles de paroles de colère à l’égard de son papa.
Cela dura environ une heure. Puis vint le temps de la récréation, il accepta de venir avec moi dans la cour, joua avec les autres et est ensuite rentré en classe comme si de rien n’était. Je suis toujours émerveillée de ce moment de calme après la tempête et je me dis que l’enfant s’est senti pleinement accepté dans sa colère et sa destructivité et que cela a suffit.

Il est vrai que mes gestes à ce moment là étaient aussi pour moi pleins de sens. Je n’ai pas par hasard reconstitué inlassablement le collier de perles de plastiques pour le ré-offrir à l’enfant. J’avais alors conscience qu’en le faisant j’envoyais ce message à l’enfant : « tu peux vivre en toute sécurité la destructivité qui t’habites en ce moment, je peux la recevoir sans me sentir détruite. » Je sais que cela est structurant pour l’enfant et que ça le délivre, dans ce moment précis, de la culpabilité. Mélanie Klein[1] nous ont appris combien il est important que l’adulte reste « intact » face aux « pulsions destructrices » de l’enfant.

En effet celui-ci n’est pas équipé psychiquement pour distinguer nettement le dedans et le dehors psychique. Si son geste ou ses paroles agressives sont reçues comme telles par l’adulte alors l’enfant va intérioriser un sentiment de culpabilité intense, générateur d’ angoisse. Alors que si l’adulte reçoit ses paroles ou gestes de colère comme symbolisant un état interne de détresse, il aide l’enfant à se structurer, à établir une limite et aussi un lien entre lui et l’autre, entre ses émotions internes et leur expression. Si de plus l’adulte accompagne la crise de l’enfant en ayant des gestes symboliquement réparateurs, (reconstituer le collier) ; alors il met l’enfant sur la voie de la réparation. Réparation interne : « je suis réparable » et externe : « les autres sont réparables ».[2]

La symbolisation est donc, pour moi, centrale dans l’accompagnement des jeunes enfants, elle est souvent médiatisée par des objets mais peut être aussi simplement langagière lorsque j’accompagne un enfant qui est déjà bien inscrit dans le langage. Ce fut le cas de Rayan dont je vais transcrire ici une partie de l’accompagnement que j’ai enregistré.

J’ai dû sortir de la classe avec Rayan car ses hurlements terrorisaient enfants et parents alors présents. Dans la cour il se jeta par terre et hurla

o Pourquoi tu me fais ça à moi maman ?

J’étais impressionnée et je repris la phrase :
v Maman pourquoi tu fais ça à Rayan ?

Alors il se mit à hurler :
o Pitié maman !

v Pourquoi tu fais ça maman ? pourquoi tu laisses ton petit garçon à l’école tout seul, désespéré ? Rayan ne comprend pas, il ne comprend pas du tout.

Je me suis donc mise à reformuler en m’adressant symboliquement à la maman de Rayan et comme celui-ci continuait d’exprimer son ressenti je l’ai accompagné de cette manière assez longtemps, renforçant l’échange symbolique en utilisant mon portable.

Bryan alors exprima la peur qui était sous sa colère :
v J’ai peur d’aller à l’école.
v Tu as peur d’aller à l’école, je comprends que tu as peur.

o Maman au secours !
v Tu as peur, je vais le dire à Maman, je vais téléphoner à Maman, d’accord ?

Je prends mon téléphone portable, sans l’ouvrir :
v Allo, Maman de Bryan ? ici c’est Danièle, je suis à l’école, je vais te dire quelque chose : Brayan, il a peur de venir à l’école, tu comprends Maman ? il a peur de rester tout seul sans sa Maman. C’est ça Brayan ?

o Oui.

v Et il a très peur parce qu’il est toujours resté avec sa Maman et d’un seul coup, il est tout seul et ça fait très très peur dans son petit ventre. (il m’avait dit qu’il avait mal au ventre. ) C’est ça Brayan ?

o Oui.

A ce moment il ne pleure plus, je poursuis :
v Ça lui fait mal partout maman, il a mal au ventre, il a mal au cœur, il crie au secours.
C’est trop terrible d’avoir peur Maman ; tu sais ce que c’est ? tu sais que c’est terrible, c’est comme si on allait mourir, c’est ça Brayan ?

o Oui, oui.

v C’est trop trop dur Maman d’avoir peur, hein. Bon est ce que tu as compris Maman ce que je suis en train de te dire ? Es ce que tu as compris ? C’est çà Brayan ? Qu’est ce que je lui dis encore ?

o Moi a pleuré.

v Il a pleuré très, très fort. Qu’est ce que je lui dit encore ?

o Moi veux pas écouter la musique

v Il ne veut pas aller dans la classe écouter la musique, maintenant il est dehors, et Danièle essaie de comprendre ce qui se passe dans son petit cœur pour que Bryan puisse avoir plus peur et puis calmer sa colère parce que ça peut pas durer comme cela.

o Parce que Maman va me chercher.

v Hé oui tout à l’heure tu vas venir le chercher Maman d’accord ? on dit ça à Maman ? Qu’est ce qu’on dit encore ?

o Après je vais plus pleurer.

v Tu sais Maman, tu vas venir le chercher après il va plus pleurer. Tu comprends ? Qu’est-ce que je dis encore Rayan ? c’est tout ? Hé bien écoute, ça va maintenant il ne pleure plus et puis tu vas venir le chercher tout à l’heure Oké ?
v Bon voilà j’ai téléphoné ; j’ai dit tout ce que tu voulais lui dire..

A partir de ce moment il parle du retour à la maison, ce qu’il va y faire, qu’il reviendra à l’école « les Colibris ».
Je suis totalement admirative du travail de cet enfant et je dis :

v C’est extraordinaire Bryan, moi je trouve ça extraordinaire !

Nos échanges se poursuivent et Brayan dit qu’il n’a plus mal au ventre, nous nous dirigeons ensemble vers la classe.
Avec cet enfant l’échange a été fort, j’étais impressionnée par l’intensité de l’expression de sa douleur. Ainsi mes reformulations dépassent parfois ce que l’enfant exprime. C’est le cas lorsque je dis « c’est comme si on allait mourir. » L’enfant n’a pas exprimé cette crainte, c’est moi qui l’induit. L’enregistrement me permet cette relecture et une mise à distance.

Cependant, il fut aisé d’accompagner Bryan par la parole car il comprenait bien ce que je disais et que je comprenais son langage. Mais ce n’est pas toujours le cas, je vais vous parler du premier contact avec Lucas avec lequel j’ai dû me situer en de-ça de l’échange verbal.

C’est donc le premier jour de la rentrée, et quand j’arrive dans l’école, Lucas est couché par terre près de la porte vitrée qui donne sur l’extérieur, la porte est fermée à clef car Lucas ne veut qu’une seule chose : se sauver de ce lieu et rejoindre ses parents. Il est très en colère.

Je m’assieds près de lui, lui parle, sans succès. Je commence à dessiner tout en parlant mais Lucas, d’un geste rageur de la main, écarte feuille et marqueurs.Je comprends que c’est prématuré et je sens que mes paroles n’accrochent pas. Il me tourne la tête. Pour lui témoigner que je suis dans l’acceptation de son ressenti, je déchire ostensiblement le dessin que j’avais fait. On m’apporte une bassine et des légos, Lucas n’en veut pas et les repousse violemment. Pour être corporellement avec lui, je commence à jeter dans la bassine un à un les légos qui pour moi représentent ce qu’il répète inlassablement « veux papa » et j’ajoute « Lucas est très en colère ».
Dans le cas présent, c’est donc moi qui jette les légos, mes gestes symbolisent sa rage.

Mais Lucas m’ignore, il est toujours couché à plat ventre, face contre terre. Je suis désemparée car il ne semble pas être en relation avec moi. Je me souviens alors d’un article lu récemment sur la pré-thérapie et met en acte ce que j’en ai compris : avant le contact le thérapeute peut dire tout haut ce qui fait lien dans l’environnement entre lui et le patient. [3]

Je tente : « Danièle est assise par terre à côté de Lucas ; dehors on entend le vent souffler…. » Et là j’essaie d’être pleinement dans le présent avec lui, sans intention. De longues minutes s’écoulent, soudain, il se tourne vers moi et me parle en regardant la route je ne comprends pas explicitement ce qu’il dit.

J’essaie : « oui, oui, c’est par là que la voiture va arriver pour te chercher. » Il continue de parler, je dis oui, oui…Je sens l’instant crucial et j’ai un peu peur de ne pas être juste car je ne comprends pas ce qu’il exprime par les mots.
Mais il s’assied, prend les légos et se met à jouer.

C’est un moment magique. L’enfant n’est plus isolé dans sa détresse, il montre qu’il veut bien être soutenu par la personne qui est là et qu’il ne connaissait pas jusqu’ici.
C’est le tout début, l’accompagnement de cet enfant va durer 3 matinées avant que je puisse définitivement m’effacer.

Car je m’efface complètement lorsque l’enfant effectivement joue, et s’intéresse aux activités proposées par l’enseignante. Mais pour cela il faut être entré dans la classe.

Alors je sollicite régulièrement l’enfant accompagné :

Deuxième étape : les sollicitations :

Dès que l’enfant a dépassé le débordement émotionnel premier, je commence à me situer comme un médiateur entre l’enfant et l’environnement scolaire, lors de cette étape qui aboutira à la socialisation je propose à l’enfant de s’associer aux activités de l’école.

Revenons à Lucas : nous sommes donc maintenant tous deux jouant aux légos, assis par terre près de la porte d’entrée. En acceptant cette activité ludique Lucas me montre qu’il n’est plus dans le rejet de l’école. Je peux alors lui proposer de s’inclure progressivement dans la vie du groupe.

Quand l’enseignante passe avec le reste de la classe, revenant de la récréation, je lui propose qu’on rejoigne au groupe. Nous arrivons à la porte de la classe mais Lucas veut rester dehors. Il se tient à distance dans le couloir, je m’assieds à la porte de la classe , et je commente pour lui tout ce qui s’y passe, comme si j’étais moi même un enfant qui découvrait cette vie bien intéressante ! Soudain, il se précipite dans la classe et se jette assis près de l’entrée. Je suis surprise.

Il est maintenant à l’intérieur, J’entre moi-même, précédant Lucas d’une étape puisque je vais m’installer au milieu des autres enfants sur le tapis et participe à ce qui s’y passe tout en invitant Lucas du regard. Celui-ci nous rejoint et commence à jouer. Il vient de franchir une nouvelle étape.

Mais la vie à l’école c’est aussi l’apprentissage des règles de vie en société. Il s’agit de tous les rituels comme de se déplacer en se tenant par la main, aller aux toilettes à des moments précis et en groupe, manger le goûter en attendant son tour, attendre les parents assis. Etc…
Me mettant à la place des enfants je mesure l’étendue de ce qu’ils doivent intégrer. Et je suis émerveillée par leur capacité d’adaptation. La plupart d’entre eux n’ont pas fréquenté de lieux collectifs comme les crèches avant cette première scolarisation.

Pour cette nouvelle conquête je reste près de l’enfant accompagné et je parle afin de mettre du sens sur ces règles. Il me semble que plus on met de sens sur ces demandes spécifiques de l’école plus on aide les enfants à s’approprier cet espace et ces règles de vie. Les élèves les plus grands me sont alors d’ un soutien précieux. Ils sont tout de suite en empathie avec les plus petits et, fiers d’avoir eux mêmes dépassés cette épreuve, prêts à les aider.

Lors de cette étape mon rôle est essentiellement d’être médiateur entre la « culture de l’école » et l’enfant. Ce sont les enseignantes qui sont à l’initiative et garantes des règles. Et je mesure que pour elles cela constitue un travail éprouvant.

Je me perçois comme un passeur, rien de plus, alors que l’enseignante a la charge de faire respecter les règles de vie en commun. C’est elle la référente et je ne l’oublie pas, l’évoquant auprès de l’enfant tout au long de l’accompagnement. Ainsi quand celui-ci sort de sa détresse initiale il sait qu’il est ici à l’école et que la personne qui est là près de lui ne fait que l’accompagner dans la conquête de ce lieu, et n’en fait pas partie.

La fin de l’accompagnement :

Deux repères me guident alors :

§ L’enfant s’investit dans les activités proposées par l’enseignante.

§ L’enfant peut se séparer et retrouver ses parents sans angoisse.
(selon les travaux de Mary Ainsworth,[4] l’enfant fait alors preuve d’un attachement confiant.)

Ainsi Lucas, à la fin du 2ème jour, attend ses parents assis sur le banc, près de moi et avec les autres enfants. Les mamans arrivent, les retrouvailles sont souvent pleines d’émotion, et les parents de Lucas tardent. Cependant celui-ci reste calme et je note qu’il se sent en sécurité.
Le lendemain matin, il pourra quitter ses parents sans problème, leur dire au revoir de la main lorsque la voiture passe devant la fenêtre de la classe. Je suis près de lui et dessine « la belle voiture du papa de Lucas, Lucas dessine aussi, et la journée se passe sans problème. L’intégration s’est opérée.

Rayan que nous avons laissé au moment où il dépassait son chagrin pour se projeter dans l’avenir a ensuite évoqué avec moi, toutes les étapes du retour de sa maman :

o Maman va passer l’aspirateur puis y vient chercher moi.

v Et après elle vient te chercher, ça y est, tu as tout compris

o Après la voiture va passer.

v La voiture va passer ici, là tu vois la route ?

o Après i va appuyer avec son pied (brôoumm)

v Oui avec le pied elle va accélérer.

o Avec le pied à Maman

v Maman va accélérer avec son pied, oui et après ?

o Après le moteur i va..

v Le moteur va ronfler, oui. Ah c’est génial ! (je suis émerveillée)

o Après va prendre mon cartable.

v Et tu vas prendre ton cartable ?

o Mon cartable Spiderman….

Une telle précision me rend admirative du travail d’élaboration de cet enfant. Il utilise vraiment son imaginaire et sa fonction symbolique pour dépasser l’angoisse première. L’expérience m’a montrée que le travail psychique ainsi commencé ne régresse pas et que l’accompagnement se poursuit vers la consolidation d’une sécurité intérieure.
Ainsi ces deux enfants, accompagnés d’une manière différente, ont-ils suivi leur processus propre pour accepter la séparation et ne plus la subir comme une rupture. Je fais cette différence car la séparation implique le retour, les retrouvailles, alors que la rupture est vécue comme un gouffre et provoque l’angoisse.

Petit détour théorique :

Margaret S. Warner,[5] s’appuyant sur la théorie de Gendlin concernant « l’empathie phénoménologique », fait l’hypothèse que le jeune enfant, dont le langage est en cours d’ élaboration, tire un véritable profit des mots justes posés par l’adulte sur ce qu’il ressent confusément et corporellement. Les sentiments éprouvés par l’enfant restent implicites jusqu’à ce que des mots viennent symboliser son expérience et la rendre ainsi explicite.

Il est donc fondamental pour l’éducateur de reconnaître les sentiments de l’enfant, surtout s’ils sont négatifs comme la colère, la peur, la tristesse.

La théorie psychanalytique nous dit que ces sentiments non reconnus seront refoulés et resteront actifs (retour du refoulé) dans le comportement.

L’approche rogérienne met l’accent sur la nécessité d’offrir à l’enfant une symbolisation verbale empathique qui lui permettra non seulement d’être reconnu dans ce qu’il vit mais en plus de reconnaître sa propre expérience.
L’adulte en accueillant et en nommant empathiquement les ressentis agressifs de l’enfant lui permet de les intégrer comme des parties légitimes de lui-même.
Cette reconnaissance par un autre, si elle est juste renforce « le centre d’évaluation interne » de l’enfant et participe à l’élaboration d’un « self sain.»

Ce sont ces convictions qui ancrent ma pratique et me guident chaque année vers plus de présence et d’acceptation inconditionnelle de l’enfant.
Je suis intimement persuadée que cet accompagnement que je vis chaque année avec un peu plus d’engagement personnel et de disponibilité à l’enfant participe au processus d’individuation de celui-ci, c’est pour cette raison que j’ai eu envie de partager cette expérience.

Je n’ai pas évoqué, dans cet article, les échanges avec les parents car j’interviens prioritairement auprès des enfants. Je laisse donc, sauf exception, l’enseignante rassurer les parents.

Par contre je témoigne, à chaque occasion qui m’est donnée, de mes actions et du sens que j’y mets aux enseignantes et aide-maternelle de l’école.
Elles apprécient ces échanges et cultivent ainsi une compréhension plus empathique à l’égard de ces comportements qui auparavant les laissaient impuissantes. Aujourd’hui elles sont plus rassurées et peuvent avec calme, recevoir la détresse de certains enfants, elles perçoivent qu’
il ne s’agit pas d’un geste spécialisé mais d’ouvrir son cœur et de respecter le vécu de l’enfant.

L’approche centrée sur la personne se caractérise par un accompagnement dans le présent, une absence de jugement et d’interprétation.

Dans ce travail je m’efforce d’être avec l’enfant au moment où il vit cette épreuve, je ne cherche pas, par le biais de la classique anamnèse les ruptures anciennes qui me permettraient de comprendre pourquoi cet enfant vit si douloureusement la séparation.
Ces données, dont je me servaient au début de ma fonction permettent d’avoir l’impression de maîtriser la situation.
Les exemples qui précèdent sont en grande partie exempts de cette stratégie, ce qui me guide encore ce sont des repères théoriques, qui même s’ils n’appartiennent pas au champ de l’A.C.P. ne m’éloignent pas de l’enfant. (du moins c’est ce que je ressens.)

De même l’accompagnement dure ce que dure la crise et ne donne pas lieu à l’ouverture d’un dossier, comme cela se fait habituellement lorsqu’un enfant est « suivi » par un spécialiste. L’aventure est vécue de personne à personne. (personne-adulte à personne-enfant.)

L’approche centrée sur la personne est non directive ; elle donne le pouvoir à la personne accompagnée, comme le dit Thierry Tournebise, « c’est elle qui détient les clefs de chez elle ».[6] Alors je suis l’enfant géographiquement, c’est lui qui me précède vers la classe.
Seule entorse à cette non directivité : je ne peux accompagner l’enfant en dehors de l’école, alors que celui-ci ne veut qu’une chose : se sauver.

Danièle EDO-PALADINI

[1] Introduction à l’œuvre de Mélanie Klein Hanna Segal, Puf
[2] La notion de réparation est développée dans les ouvrages de Maryse Vaillant.
[3] Garry Prouty a développé l’approche nommée pré-thérapie. Phillip Gyselinck nous en parle dans Mouvance Rogérienne n° 9, nov. 2004
[4] Travaux de Mary « la situation étrange » évoqués par Serge Lebovici dans A l’aube de la vie Editions Eres.
[5] Margaret S. Warner traduite par Cécile Rousseau dans ACP Pratique et Recherche n° 1 juin 2005.
[6] Thierry Tournebise, psychothérapeute et formateur. http://www.maieusthesie.com